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Qu’est-ce qui gît là dans le magma de nos veines ? Dans le tumulte de nos pensées ? Dans nos curieuses introspections ? Qu’est-ce qui se dissimule dans le flux de nos corps, dans les résonnances de nos âmes ? Qu’est-ce qu’on refuse de montrer, et qui pourtant, est juste là, à portée de dévoilement, à portée d’impudeur, à portée d’inconscient ? Que se passerait-il si nous quittions un instant nos jeux de dupes pour contempler nos horizons intérieurs ?

Etrange expérience. Les contours du corps disparaissent, et dans l’esprit émerge la sensation d’appartenir à un monde infiniment vaste. C’est l’impression singulière d’être baigné dans l’éternité, d’en être un fragment, la particule poétique d’une indispensable vanité. Au sommet d’une montagne, en apesanteur dans la mer, ou dans une rue vide éclairée par le soleil du matin.

Le « sentiment océanique » repousse toutes les bornes perceptibles. C’est alors que l’on touche à cette source infinie, et c’est ainsi que l’on mesure notre appartenance à tout ce qui nous entoure. Comme si à ce moment-là, nous étions enfin capables de nous ouvrir à une immensité. Il n’y plus aucune limite entre nous et l’univers. Comme le nourrisson, qui collé à sa mère, ne fait pas de distinction entre sa peau et la sienne. Rien à attendre, juste à ressentir ce qui est. La beauté du monde, ironique et tendre, qui non seulement, nous précède, mais qui surtout, ne nous attend pas. « Des millions d’yeux, je le savais, ont contemplé ce paysage, et pour moi il était comme le premier sourire du ciel. » - Noces, Camus.

PAYSAGES INTÉRIEURS par Marie Robert - 2022

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Les Amérindiens considèrent le cosmos selon un principe d’unicité. Ils envisagent leur environnement comme une organisation d’énergies, un cercle vertueux d’échanges et de réciprocité. Le totémisme trouve sa plénitude via une “cosmovision” qui reconnaît l’inter-connectivité des êtres vivants avec l’environnement, animal, végétal et minéral.

Lia Rochas-Pàris s’approprie ici une pratique rituelle traditionnelle fondée sur un équilibre de forces qui participent toutes à la création et la re-création de l’univers et influencent directement ses croyances, son organisation sociale et, plus largement, son appréhension du réel.
Par l’art du collage Lia Rochas-Pàris nous offre une réinvention surréaliste du totémisme via l’affirmation d’une relation privilégiée avec une puissance plutôt qu’une autre, ici la Femme ; une mise en tension salutaire, une interaction dynamique entre des corps sublimés et des objets fragments du passé et participe à régénérer notre rapport à la féminité. Lorsque Lia Rochas-Pàris désigne la Femme comme son totem, elle affirme un lien qui dépasse la généalogie traditionnelle. Elle a une sœur-déesse, un esprit qui préside à sa destinée. Cette affirmation confirme que cette parenté mystique la lie aux autres êtres qui se réclament de ce clan. Cette relation totémique ainsi exprimée ne l’a rend pas pour autant effective. Elle est instaurée, ravivée couramment par des épreuves, des actes de vénération, et de créations respectueuses.

Adoptons une de ces Femmes-totem, sublime, elle nous dépasse, elle nous protège, et gageons qu’elle se mue en figure héroïque qui franchit les portes du monde des morts pour obtenir des réponses à nos questions et rétablir l’ordre dans notre monde de vivants. Enfin, la protection de la Femme-totem n’est jamais totalement acquise et, en cela, se distingue de l’ange gardien. Offrons-nous à elle vigilants et croyons qu’elle nous accepte et embrasse -  des valeurs perdues de ces peuples - notre éphémère existence, pauvres pécheurs.

LES TOTEMS par Alex Gautier - 2021

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C’est dans un contexte très particulier, celui du confinement lié à la crise du coronavirus, que Lia Rochas-Pàris a réalisé cette étonnante série de collages aux sinueux contours protéiformes. Comme la pensée suivant son fil dans l’enfermement domestique, les silhouettes qui se meuvent sur le noir mat du papier dessinent les idées changeantes de l’artiste.

Le montage abstrait qui s’opère dans l’esprit prend la forme d’une ribambelle de fragments entrelacés qui s’élancent dans une danse métamorphe. Humanoïdes ou sculpturaux, de pierre, de bois, de verre ou de chair ils s’imbriquent pour ne faire qu’un : totems imaginaires, idoles en apesanteurs. 

Ototeman, mot d’origine Ojibwa, se rapporte aux idées de relation collective, de parenté, de clan. Ces images apparues sous les doigts de l’artiste deviennent autant de compagnons allégoriques, des nymphes en métamorphose tournoyant dans une danse presque chamanique. 

Chaque mouvement est concentré. Choisir, c’est penser. Découper, c’est ciseler. Coller, c’est écrire. Le collage est le résultat de cette concentration, le moment précis où les trois gestes se rencontrent pour l’apparition de l’image. Le collage ne vient pas de dedans le papier, il s’y dépose et s’y montre nu, sans repentir, sans gommage ou recouvrement. Fruit d’un processus méditatif et appliqué, l’image existe tout à coup. Nous, spectateurs, devenons la Méduse qui d’un seul regard pétrifiant interrompt le bal de ces génies sans visages. Les formes totémiques dont on peut imaginer qu’elles étaient animées il y a un instant se sont statufiées à l’apogée de leur grâce.

Ototeman Wo est l’instant précis où se rencontrent chacun de ces mouvement. La danse des créatures, les actions de l’artiste et le regard du spectateur. Apothéose silencieuse, soudainement tout se fige, l’image est là.

OTOTEMAN WO, LES TOTEMS par Judith Prigent - 2020

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